7 h 15. Tout de noir vêtu, besace en bandoulière, Bruno Le Fourn se presse dans les étages de la clinique Bretéché, en centre-ville de Nantes. Le Finistérien de 50 ans tient à saluer ses deux patientes qui se préparent dans leur chambre avant d’entrer au bloc. « Un petit mot, ça rassure et j’y tiens. » Michèle (1), 52 ans, est tout juste réveillée. Après un cancer, elle a décidé de refaire son sein gauche, abîmé par la maladie. Le chirurgien réexplique l’opération, dessine sur sa peau quelques repères. Dans une autre chambre, Patricia, 46 ans, s’inquiète. Ses implants mammaires doivent être changés. « Je crains l’anesthésie, j’ai peur de ne pas me réveiller. »
9h. Ambiance détendue au niveau des blocs opératoires. Bienvenue dans le petit monde des hommes bleus et verts, masqués et chapeautés. Dans une minuscule salle, tous partagent un café. Avant d’entrer dans la salle d’opération, chacun se lave longuement les mains. Patricia est là, endormie. Lumières blafardes, bruits des emballages plastiques qu’on déchire, bip du respirateur qui mesure la fréquence cardiaque.
Entouré de son assistante et d’une infirmière, le chirurgien change les prothèses sérum en bout de course pour des prothèses en silicone. La routine. « La chirurgie plastique n’est plus réservée aux classes sociales aisées. Certaines patientes préfèrent refaire leurs seins que partir en vacances. Cela choquera toujours celles et ceux qui ne se sentent pas concernés. Le grand public a découvert, avec l’affaire PIP, que de nombreuses femmes prenaient cette décision pour des raisons intimes et compréhensibles. Aucune demande ne peut être jugée incongrue dès lors qu’il existe une souffrance », insiste Bruno Le Fourn.
11 h 30. Le petit noir réchauffe avant la seconde intervention. Sur les trois mois de vacances qu’il s’autorise par an, Bruno Le Fourn s’envole dix jours pour soigner les enfants brûlés au Vietnam. Ce métier, il ne l’a pas choisi par hasard. Adolescent, Bruno Le Fourn a subi un grave accident. Son visage en garde les séquelles. « Mon choix de devenir chirurgien plasticien s’est fait après avoir moi-même fréquenté les hôpitaux… Après ce parcours de l’autre côté de la barrière, cette spécialité devenait pour moi une évidence. Disons que c’est naturel… » lâche-t-il, pudique.
13 h 30. La 2e intervention se termine. Le médecin a remodelé le sein de Michèle. Bruno Le Fourn quitte sa blouse et s’attable une demi-heure à la cafétéria vieillotte de la clinique. Vite, l’heure tourne. Il grimpe les étages et s’installe à son bureau baigné de soleil, survole la liste des rendez-vous. « Dans mon cabinet, je reçois M. et Mme Tout-le-Monde. Mon activité esthétique est équivalente à mon activité réparatrice. Nous sommes ici en province, rien à voir avec Paris ou la Côte-d’Azur. »
14 h 15. Première patiente : Louisette et son carcinome sur le front qu’il faudra enlever. Jacqueline entre ensuite accompagnée de son mari. Elle veut retrouver le sein d’avant le cancer. À son tour, la coquette Marie, 54 ans, aide-soignante, s’assoit face au médecin : « Ma poitrine tombe fortement, c’est une obsession, je me cache ». Elle évoque une vie intime mise à mal. Le chirurgien écoute, propose, ne nie pas les risques : phlébite, infection, etc. Il lui montre des cicatrices plus ou moins réussies. « Se faire opérer ne règle pas tous les problèmes. Cette démarche doit être parfaitement assumée par vous-même.»
Lui succède une belle brune de 52 ans, commerciale. Elle pense que ses paupières tombent. « Je ne peux pas me maquiller, je ne vois que ça. » Entre deux rendez-vous, Bruno le Fourn reçoit un patient envoyé par un confrère avec un sérieux oedème au pied. Il l’opérera le lendemain. Suit Marie, 37 ans, deux jeunes enfants, comptable. « Mon ventre, c’est comme une brioche pas cuite… Je ne me supporte plus. Cela retentit beaucoup dans ma vie privée. » Un couple s’installe. Monsieur s’est fait recoller les oreilles par le chirurgien et Madame a des implants PIP depuis 11 ans. Après le retentissement de l’affaire, elle devra s’en séparer. La jeune femme n’est pas pressée. « Je le ferai mais je n’avais pas prévu ça tout de suite car j’en suis très contente ! »
18 h 15. Bruno Le Fourn éteint son ordinateur. « Cela peut parfois paraître futile mais il ne faut pas oublier toutes les histoires de vie qu’il y a derrière ces choix pas faciles. » C’est jeudi soir, le chirurgien se fait un devoir d’emmener son plus jeune fils à son cours de rink-hockey. Au volant de sa petite berline, il file dans la ville.
(1) Tous les prénoms ont été changés.
Lire l’article publié dans Ouest France